Sismographe hyper-sensible, la pointe sèche enregistre et inscrit instantanément dans le cuivre
toutes les variations de la pensée en autant de ponctuations signographiques densifiées ou
modulations. Cet outil, révélé à la fin du XVe siècle par les soixante-douze séquences gravées du Maître
du Livre de Raison, est celui que j'ai le plus souvent pris plaisir à apprivoiser. Je I'utilise, même sur
de vastes surfaces, sans accompagnement d'acide ni de résine. Je crois que la réduction des
manipulations techniques peut dans certains cas favoriser plus de réflexion.
Parfois, ma pointe laboure plus ou moins profondément sur presque toute l'étendue de la plaque,
scandant les noirs jamais ébarbés, modulant les demi-teintes dans une tessiture bien tempérée,
épargnant pauses et ponctuations blanches, attentes silencieuses et sources de lumière. Ailleurs, le
discours graphique s'épure et se resserre en écritures circonscrites sur un fond presque immaculé,
articulant trois micro-structures principales de gris timbré comparables aux trois voix d'une fugue.
Deux conceptions de I'espace qui préludent en alternance à la réalisation de mes estampes, à partir
d'une esquisse initiale spontanée et en un mouvement progressif de densification des valeurs. Leur
intensité, intuitivement conçue et tactilement pressentie avant d'être visuellement perçue, est en
quelque sorte proportionnelle au degré de pénétration de I'outil dans le cuivre.
Chaque poussée de l'outil dans le cuivre est une décharge émotive apte à vaincre sa résistance.
Claude-Jean Darmon,
"George Ball, Claude-Jean Darmon, Roger Vieillard, gravures"
Musée Denon, février-avril 1993